0000b- Toggenburg en Suisse du 18 au 27 août 2020

Fin d’été au Toggenburg

La désalpe ou le retour au bercail

par Edmond HEROLD

Entre rêve et réveil, en cette aube incertaine de la mi-août passée…

De lointains et irréels tintinnabulements se glissent en nos songes finissants.

Sitôt reconnue la scintillante musique des claires clarines, nous nous précipitons pour voir passer les bêtes revenant de l’estive. Le temps de la désalpe est arrivé.

Avant-garde de blanches biquettes, trio d’opulentes meneuses aux somptueuses cloches d’apparat précédant le long cortège des génisses et des laitières anonymes, encore toutes imprégnées des fleurs de l’alpe, suivies à distance par le géniteur attitré du troupeau fermant la marche… Le tout conduit et encadré par des paysans en tenue de fête traditionnelle : pantalon jaune, gilet rouge et chapeau noir enrubanné à larges bords pour les hommes ; robe bleue, coiffe, corsage et tablier blancs brodés pour les femmes. Le service d’ordre, quant à lui, est assuré par l’incontournable Blässli de compagnie, chien de troupeau appenzellois, noir et blanc à la queue en panache, d’une race rompue à la tâche depuis des générations.

Transhumance réglée selon un ordre immuable, dans la joie partagée du retour au bercail et de retrouvailles patiemment attendues.

Halte brève au passage d’une ferme voisine qui offre spontanément le café aux matinaux bouviers transhumants.

Sans tarder, la cohorte se remet en route, cahin-caha, et, en guise de remerciements, les hommes entonnent quelques jodels, émouvantes vocalises aux harmoniques élevées, expression ancestrale de l’âme des populations montagnardes de céans.

Transhumance festive d’autant plus authentique que pratiquée en dehors de la présence de touristes et sans le moindre battage médiatique.

Tradition au sens noble du terme et non folklore de pacotille destiné à amuser la galerie.

Un monde en sursis ? Espérons que non !

Les enfants ont repris le chemin de l’école.

Les colchiques fleurissent dans les prés.

La roue tourne…

Puisse-t-elle continuer à tourner…

… à tourner rond pour vous, pour nous, pour nous tous !

L’automne, le bel automne, nous attend.

Edmond HEROLD

Neu St. Johann en Suisse, transhumance désalpe en costumes traditionnels

Neu St. Johann en Suisse, vue panoramique avec la chaîne des Churfirsten

Unterwasser en Suisse au lac Gräppelensee : cloches et appel des vaches dans les alpages

Im Garten einer Hexe…

Au jardin d’une sorcière…

par Edmond HEROLD

Au bout de la petite route tortueuse qui mène à nulle part sinon au hameau de la Laad, une auberge à l’enseigne du lieu-dit Dergeten (ou Tergeten selon que…) dont la notoriété ne doit rien aux réseaux du numérique mais qui repose sur le bouche à oreille de randonneurs de passage en quête de montagne sauvage et de quelques autochtones, usagers des lieux.

Dergeten est à la fois le dernier lieu d’habitation permanent du vallon et un terminus sans appel pour l’automobiliste. La voie forestière qui s’ensuit est réservée aux professionnels de la montagne, forestiers et marcaires, ainsi qu’à l’armée helvétique qui l’emprunte lors de ses manœuvres annuelles.

J’ai découvert les lieux il y a un demi-siècle, au cours d’une randonnée entre Neu St. Johann et Weesen, via le passage de la Hintere Höhi et Amden, reliant ainsi le Toggenburg au Walensee. Deux mondes diamétralement opposés. Au nord de la chaîne des Churfirsten, climat rude et sévère. À leur pied, versant sud, ambiance toute méridionale, avec une flore et une faune en conséquence. Dans son cycle Les Années de pèlerinage, Franz Liszt, qui a passé par là, a célébré à sa manière ce lac mythique dans son émouvante page Souvenir de Walenstadt.

Mais revenons à Dergeten.

Depuis lors, la fermette initiale s’est dotée d’une buvette qui à son tour s’est transmuée en petit restaurant de montagne. S’est rajoutée, en toute discrétion, sans tambours ni trompettes, die Hexe, la sorcière. Appellation à prendre au sens noble du terme… Aucune signalétique tapageuse susceptible de rameuter les bobos citadins en quête de retour à la nature ! Le client attablé sous un parasol, savourant son Sankt Galler Schüblig ou son panierter Schnitzel mit Pommes peut ne pas se rendre compte que la patronne a la main verte et, de surcroît, le feeling pour les plantes et les hommes. À sa manière certes, mais à l’instar de celui dont l’esprit imprègne encore les montagnes de la Suisse alémanique, la fameuse Alpen Nordseite, au nord du Röschti Gràba, je veux parler du bien nommé Kräuterpfarrer Johann Künzle. Ce dernier était curé herboriste à Zizers, dans les proches Grisons (Graubünden). Enfant, j’étais fasciné par les planches en couleurs de son ouvrage Das grosse Kräuter-Heilbuch, paru en traduction française sous le titre L’art de guérir, livre de chevet de ma grand-mère maternelle. En bonne grand-mère qu’elle était, elle veillait attentivement à la santé des siens et était toujours prompte à leur prodiguer les soins qui lui paraissaient appropriés… sous forme de tisanes, macérations, cataplasmes ou autres remèdes populaires en usage.

Le randonneur curieux de nature ne manquera pas de remarquer en contre-haut de l’auberge le grand jardin, richement fleuri au moment où j’écris ces lignes.

Ce jardin n’a rien d’un jardin botanique avec étiquetage conventionnel pour amateurs avertis, ni d’un potager tracé au cordeau, maté par un esprit géomètre en vue d’une production rationnelle de plantes. Comme tout jardin qui se respecte, ce jardin a sa personnalité propre. Il reflète celle du jardinier, de la jardinière en l’occurrence, avec sa logique à elle, sa sensibilité, sa fantaisie. Il est en outre immanquablement tributaire de la spécificité du lieu et de ses potentialités, de la nature du sol, de l’exposition, du microclimat local, de l’altitude.

À Dergeten, celle-ci est de 950 mètres. Ce qui, dans les Alpes du Nord, contingente sérieusement l’éventail des possibles. Qu’à cela ne tienne ! Comme par enchantement, la Hexe parvient à y faire prospérer un riche panel de plantes médicinales qui lui permettent de concocter ses diverses préparations et spécialités. Achillées, Calendulas, Consoudes, Mauves, Guimauves, Menthes, Millepertuis, Monardes, et j’en passe, se partagent harmonieusement l’espace, composant un patchwork de couleurs chatoyantes et variées. À ces herbes de bonne fame, autrement dit de bonne réputation, se rajoute tout un cortège de plantes à la vocation plus ornementale que thérapeutique telles qu’Ibéris, Ipomées, Phlox, Œillets des poètes (plutôt que barbus…). Ces derniers en touffes de coloris divers et variés rivalisent de beauté sur tout le pourtour du jardin. Bref, un régal pour les yeux et aussi, pour ceux qui y croient, un présage de bon augure pour le soulagement de leurs maux.

En montagne, le temps végétal est compté. Plus encore qu’ailleurs, ce sont les plantes qui dictent le calendrier à la jardinière, qui ne peut se plier qu’à leurs exigences. Selon leur maturité et la météo, celle-ci cueille, ramasse, trie, décortique, sèche, mélange, malaxe, concocte. Tout cela dans le secret de la montagne, avec la complicité de l’esprit du lieu, à l’abri des regards indiscrets.

Celui qui en éprouve le besoin pourra se procurer le baume, l’onguent, le sirop, l’élixir ou le mélange d’herbes qui est censé le soulager. Attention, la Hexe ne pratique pas la médecine. Il est donc inutile de vouloir lui extorquer un diagnostic. Vous pourrez néanmoins vous procurer le fascicule dans lequel elle livre les compositions de ses remèdes : Unsere verarbeiteten Kräuter, Früchte und Samen (Chrüterhäxä Dergeten). Entendez par là : Nos préparations à base d’herbes, fruits et semences (La sorcière aux herbes de Dergeten).

Entre autres préparations proposées, que je ne saurais que vous recommander si vous vous sentez concernés, le Glänkschmierer Balsam, mot à mot baume lubrifiant articulaire, à base de chanvre, consoude, résine, romarin et genièvre (genévrier).

Quand la saison obscure sera revenue, avec ses maux réels ou imaginaires, je penserai au jardin aux mille couleurs de la Hexe, là-haut au fond du vallon perché. Les belles plantes auront disparu mais je saurai qu’elles sont toujours là et que, telle la Belle-au-Bois-Dormant, au cœur de la nuit de l’hiver, elles préparent en secret le retour des beaux jours.

Edmond HEROLD

Post-scriptum

À toutes fins utiles, voici les coordonnées de notre fée verte :

Chrüterhäxä / Buurebeizli / Dergeten 1146 / CH - 9650 Nesslau